L’agriculture au Cameroun est une promesse. Des bassins de production de l’Ouest aux terres fertiles du Moungo, le pays dispose d’un potentiel agricole immense, capable de nourrir sa population et de s’exporter. Pourtant, entre le champ du producteur et le panier du consommateur à Douala ou Yaoundé, un parcours du combattant se dessine. La chaîne de valeur agricole souffre de freins systémiques qui peuvent se résumer en trois constats amers : les produits viennent de trop loin, leur acheminement coûte trop cher, et ils arrivent souvent trop tard.
Face à ces défis, une révolution silencieuse est en marche, portée par l’innovation. C’est le mariage entre l’agriculture ancestrale et la technologie, un mariage nommé agritech. Loin d’être un gadget pour pays riches, l’agritech apporte aujourd’hui des réponses concrètes aux problèmes logistiques et commerciaux qui paralysent le secteur agricole camerounais.
Le fardeau du “trop loin” : quand l’enclavement isole les producteurs
Il n’y a pas si longtemps, et encore aujourd’hui dans de nombreuses régions, l’agriculteur camerounais est un Sisyphe moderne. Après avoir cultivé ses terres avec acharnement, il se heurte au mur de la distance et de l’isolement. Les bassins de production majeurs (Ouest, Nord-Ouest, Sud-Ouest) sont souvent reliés aux grands centres de consommation par des routes difficiles, parfois impraticables en saison des pluies.
L’agritech commence à briser cet isolement. Des solutions logistiques intelligentes permettent aujourd’hui d’optimiser les trajets. Grâce à des plateformes de groupage numérique, plusieurs petits producteurs d’un même village peuvent désormais mutualiser le transport de leurs récoltes. Un seul camion, dont le trajet est optimisé par géolocalisation, peut ainsi collecter les productions de plusieurs exploitations, rendant le transport viable et moins coûteux pour chacun. La distance physique reste la même, mais la distance économique et logistique se réduit drastiquement.
Le piège du “trop cher” : la chaîne d’intermédiaires et la flambée des coûts
Le prix d’un régime de plantain ou d’un cageot de tomates peut tripler, voire quadrupler, entre le champ et le marché Mokolo. La raison ? Une chaîne d’intermédiaires longue et opaque. Chaque acteur, des transporteurs et grossistes aux “bayam-sellam” , chacun prend une marge, ce qui gonfle le prix final pour le consommateur sans pour autant garantir un revenu juste au producteur.
Les plateformes de marché numérique, ou marketplaces, sont en train de changer cette dynamique. Des entreprises comme Agrifrika et d’autres acteurs locaux facilitent désormais la mise en relation directe entre les agriculteurs et les acheteurs finaux (restaurants, hôtels, supermarchés, et même ménages). En court-circuitant plusieurs intermédiaires, ces plateformes offrent une transparence des prix inédite. L’agriculteur peut vendre à un prix plus juste et l’acheteur bénéficie d’un produit plus frais à un tarif compétitif. Le “trop cher” n’est plus une fatalité.
La course contre la montre du “trop tard” : lutter contre les pertes post-récolte
Au Cameroun, on estime que plus de 30% des denrées périssables comme la tomate, les fruits ou les légumes-feuilles sont perdus avant même d’atteindre le consommateur. Ce gaspillage massif est la conséquence directe du “trop tard” : manque de techniques de conservation, absence de chaîne du froid, et délais de transport trop longs.
L’agritech apporte ici des solutions de précision. Des applications mobiles diffusent des conseils pratiques sur les meilleures techniques de récolte et de conditionnement pour prolonger la durée de vie des produits. Plus encore, les plateformes de marché permettent une logistique “juste-à-temps”. En sachant à l’avance qui va acheter sa production et quand, l’agriculteur peut organiser la récolte et l’expédition pour minimiser le temps de stockage. La vente est assurée avant même que le produit n’ait le temps de se dégrader.
Le rôle crucial des innovateurs locaux
Cette transformation n’est pas importée ; elle est portée par des entrepreneurs camerounais qui connaissent les réalités du terrain. L’émergence de startups agritech locales est le moteur de cette révolution. Ces entreprises ne proposent pas des solutions génériques, mais des outils pensés pour résoudre les problèmes spécifiques de l’agriculteur à Bafoussam, à Kumba ou à Ebolowa. Agricolt, par exemple, avec son approche intégrée qui simplifie l’accès au marché, optimise la logistique et assure la traçabilité, illustre parfaitement la capacité de l’innovation locale à transformer des défis complexes en opportunités économiques.
Le futur de l’agriculture au Cameroun
L’agritech est la clé pour libérer l’agriculture camerounaise de ses chaînes. Elle est la réponse la plus pragmatique aux problèmes du “trop loin, trop cher, trop tard”. En rendant la chaîne d’approvisionnement plus courte, plus transparente et plus efficace, nous pouvons garantir de meilleurs revenus aux producteurs, des prix plus justes pour les consommateurs, et réduire drastiquement le gaspillage alimentaire.
Les défis restent importants, mais les solutions sont là, à portée de main. En soutenant les initiatives agritech locales, par l’investissement et par des politiques publiques favorables, le Cameroun peut transformer son potentiel agricole en une véritable prospérité durable. L’agritech n’est pas une simple tendance, c’est une nécessité pour la souveraineté alimentaire et le développement économique du Cameroun de demain. C’est à nous, acteurs de ce changement, de bâtir ces ponts entre les champs et nos assiettes.
Leave a Reply