Dans les conférences, les rapports de bailleurs et les réunions ministérielles, un mot revient en boucle : digitalisation. Et ce, dans tous les secteurs d’activité. L’agriculture africaine, nous dit-on, doit entrer dans l’ère du numérique. Des applications poussent comme des champignons. Des plateformes promettent de connecter les producteurs aux marchés, aux intrants, aux financements, à la météo. Et pourtant, malgré cet enthousiasme, le fossé entre les outils numériques et les agriculteurs de terrain se creuse. Pourquoi ?
Parce qu’on oublie une chose essentielle : on ne digitalise pas des populations qu’on n’a pas préalablement alphabétisées ou formées.
1. Des outils numériques inaccessibles pour beaucoup
Quel est le profil d’une bonne partie des producteurs agricoles en Afrique francophone? Majoritairement ruraux, souvent peu ou pas scolarisés, parfois âgés, rarement à l’aise avec l’écrit… Encore moins avec une interface mobile en français technique. Résultat : les applications ne sont pas utilisées, les SMS ne sont pas lus, les dashboards restent fermés, et les données agricoles ne remontent jamais.
2. La fracture numérique, une réalité ignorée
Penser que l’agriculteur peut utiliser une application mobile simplement parce qu’il a un smartphone est une erreur. Posséder un téléphone ne veut pas dire maîtriser les usages numériques. De nombreuses solutions sont conçues par des startups urbaines pour des utilisateurs qu’elles ne rencontrent jamais. On finit par développer des outils élégants, mais inutilisables.
3. Le risque d’un effet inverse
À force de pousser des solutions digitales inadaptées, on crée une frustration croissante chez les agriculteurs. Certains se sentent exclus, dépassés, voire même inutiles et finissent par se détourner totalement de ces innovations qui pourtant pourraient changer leur quotidien. Le numérique devient alors non pas un levier d’inclusion, mais un facteur d’exclusion.
4. Alphabétisation fonctionnelle : le vrai levier
Alphabétiser, ce n’est pas seulement apprendre à lire et écrire. C’est aussi former à l’usage des outils numériques, traduire les interfaces dans les langues locales, simplifier les contenus, utiliser la voix, la vidéo, les pictogrammes. C’est investir dans la pédagogie autant que dans la technologie.
5. Ce que la digitalisation devrait être
La digitalisation de l’agriculture ne doit pas être une course aux innovations tape-à-l’œil. Elle doit être une démarche d’accompagnement, centrée sur les utilisateurs finaux. Cela suppose :
- des diagnostics terrain avant de concevoir les outils,
- l’implication réelle des producteurs dans la co-construction,
- des formations continues, adaptées aux niveaux de chacun,
- et une logique d’inclusion avant celle de la performance.
En conclusion, digitaliser sans alphabétiser, c’est comme vouloir faire décoller un avion sans former les pilotes.
Chez Agrifrika, nous pensons que la technologie n’a de sens que si elle est compréhensible, utile et accessible à ceux qui en ont le plus besoin, à ceux qui œuvrent pour transformer le rêve en réalité. C’est pourquoi nous militons pour une approche “low tech” intelligente, inclusive et humaine, qui s’appuie sur la réalité du terrain et non sur les fantasmes des salons tech. Dans les bureaux d’Agrifrika, vous entendrez très souvent un certain nombre de mots maîtres qui guident notre logique d’exécution. Parmi ces mots : simplicité et ouverture d’esprit. Ça en dit long sur la démarche que nous avons décidé d’adopter, laquelle est impulsée par les acteurs en bout de chaîne.
L’avenir de l’agriculture africaine ne sera pas numérique par défaut, mais par choix éclairé.
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