L’argent coule à flots pour l’agriculture… mais pas jusqu’aux champs

Chaque année, des milliards de dollars sont mobilisés pour soutenir l’agriculture en Afrique. Pourtant, dans les champs, les producteurs continuent d’attendre. Pourquoi cet argent n’arrive-t-il jamais jusqu’à eux ?

Depuis plusieurs années, les chiffres donnent le tournis. Fonds d’investissement, banques de développement, initiatives philanthropiques, subventions publiques… tous s’accordent à reconnaître l’agriculture comme un secteur stratégique pour le développement du continent africain. On parle d’opportunités à 100 milliards de dollars, de plans ambitieux pour nourrir le continent, d’emplois à créer, de souveraineté alimentaire. L’argent coule donc, au sens littéral du terme. Mais alors, pourquoi les producteurs, piliers du système agricole, restent-ils les grands oubliés de cette manne financière ?

1. Une structure de financement mal calibrée

Les mécanismes de financement actuels sont trop souvent conçus selon le modèle occidental c’est-à-dire pour des projets structurés, avec des bilans solides, une gouvernance formelle, et des garanties bancaires. En clair, tout ce que le producteur n’a pas. Résultat : les fonds ne descendent jamais à l’échelle où se prennent les décisions quotidiennes de production. Le maillon paysan est exclu, car jugé trop risqué, trop informel, ou trop difficile à accompagner. C’est une vérité qui n’est d’ailleurs jamais mise sur la table puisque ce maillon paysan dont il est question, n’est généralement pas non plus présent là où se prennent les décisions. En plus, ceux qui, souvent mandatés comme ses représentants, n’auront jamais le scrupule de dire des vérités qui les mettraient à l’écart d’un argent qu’ils peuvent dépenser à leur guise pour enfin produire des rapports à la fois vides et pompeux.

2. Des intermédiaires parfois déconnectés

Les structures intermédiaires — ONG, agences de développement, cabinets de conseil, etc. — jouent un rôle d’interface entre les bailleurs et les bénéficiaires. Mais trop souvent, ces structures absorbent une part considérable des ressources disponibles en frais de fonctionnement, en études, en missions d’experts… pendant que les producteurs attendent des semences, de l’eau, des intrants, des informations utiles ou des débouchés fiables.

Il a même été démontré à plusieurs reprises comment toutes ces organisations intermédiaires agissent de connivence avec lesdits bailleurs pour créer un cycle de refinancement de leurs propres projets, en se faisant passer pour des bienfaiteurs dont les impacts sur le terrain restent timides, lorsqu’on a conscience des sommes colossales qui sont déboursées à la source. 

Le pire, c’est qu’il ne s’agit pas seulement des acteurs internationaux. Même dans les pays, les gouvernements dont le rôle est pourtant de s’assurer le bien-être des populations, sont davantage engagés à déployer des mesures d’agriculture politique que des politiques agricoles durables. 

3. Une illusion de modernité technologique

Les “agritech”, “smart farming”, drones et capteurs connectés attirent l’attention des investisseurs. Pourtant, ces innovations — aussi utiles soient-elles — répondent rarement aux besoins immédiats des producteurs, qui demandent avant tout un accès sécurisé aux marchés, des intrants de qualité disponible sur toute l’année à un prix régulier, un revenu stable, et du matériel de base. Trop souvent, les innovations financées sont conçues pour le futur ou pour des géographies lointaines qui finissent par “attirer” les entrepreneurs les plus résilients, alors que la survie agricole en Afrique, elle, se joue au présent.

4. Une absence de co-construction avec les producteurs

Les producteurs ne sont pas seulement des bénéficiaires : ce sont des entrepreneurs. Pourtant, dans la majorité des projets financés, ils ne sont pas associés à la conception des solutions proposées. On pense à leur place, on décide pour eux, et on s’étonne ensuite que les projets échouent sur le terrain. Prenons l’exemple de projets comme le PEA-Jeunes au Cameroun dont les rapports annoncent des milliers de jeunes financés et opérationnels. Pourtant, je suis pertinemment conscient pour en avoir bénéficié que nous sommes moins de 5% à avoir remboursé les crédits d’une part, et à être encore en activité d’autre part. Les responsables de ces projets n’auront jamais l’audace et le courage de descendre de leurs Toyota Prado garnies d’un réservoir à carburant plein, pour dire ces vérités qui mettraient en doute tout le travail qu’ils disent avoir abattu pendant une dizaine d’années sur un financement absurde à hauteur de plus de 50 millions USD du Fonds International de Développement Agricole.

Ce que nous proposons chez Agrifrika

Chez Agrifrika, nous avons fait le choix inverse : partir du terrain pour remonter la chaîne de valeur, parce que le travail doit commencer auprès de ceux qui savent les problèmes que nous devons résoudre. Ce sont eux la clé ultime de ce concept de “souveraineté alimentaire” que les politiciens Africains essaient tant bien que mal de vendre, alors qu’ils n’en maîtrisent absolument pas les contours.

Nous investissons dans des solutions simples, accessibles, testées avec les producteurs. Nous misons sur le digital, non pas pour briller, mais pour structurer, faciliter et améliorer ce qui existe déjà. Nous souhaitons à long terme créer des ponts entre les investisseurs et les vrais visages de l’agriculture africaine. Ceux qui en quelques années, auront d’autres livrables à proposer que des rapports d’activité en couleur et paginés de manière un peu trop professionnelle.

Parce que les financements ne valent et ne vaudront jamais rien s’ils ne se traduisent pas en production, en revenus, et en dignité pour celles et ceux qui nourrissent nos villes.


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