Les banques et les paysans : deux mondes toujours aussi éloignés

Dans les campagnes africaines, là où naissent les cultures, grandissent les animaux et se joue l’avenir alimentaire du continent, il y a un acteur dont l’absence est aussi bruyante que sa présence serait salvatrice : la banque.

Alors que le secteur agricole représente jusqu’à 30% du PIB dans certains pays africains et emploie la majorité de la population active, les financements bancaires agricoles ne dépassent souvent pas 3% du portefeuille global des banques.

Pourquoi ce divorce historique entre deux mondes qui ont pourtant tant à gagner ensemble?

Une méfiance systémique, vieille comme les premiers labours

Le monde bancaire est bâti sur la notion de garantie, de risque maîtrisé, de prévisibilité.
Le monde paysan, lui, vit dans l’incertitude : pluies capricieuses, marchés volatils, maladies imprévisibles, absence d’assurance.

Résultat? La majorité des banques perçoivent l’agriculture comme un secteur à haut risque et lui préfèrent le commerce, les salaires stables ou les marchés immobiliers.

“Quand vous venez avec un projet agricole à la banque, ils vous regardent comme si vous aviez demandé un prêt pour jouer au casino” – témoignait récemment un jeune entrepreneur rural.

Quand le paysan devient une mauvaise “cible client”

Pour les banques commerciales, le paysan coche peu de cases :

  • Il n’a pas de fiche de paie,
  • Pas de garantie matérielle solide,
  • Pas de bilan comptable certifié,
  • Souvent pas d’adresse physique fixe.

Bref, pas de “profil bancable” au sens classique.

Et même lorsqu’il intègre une coopérative, le volume de financement demandé est jugé trop faible pour justifier les coûts de traitement d’un dossier.

Conséquences : un cercle vicieux qui étouffe la transformation agricole

Cette méfiance mutuelle entretient un cercle infernal :

  1. Les agriculteurs n’ont pas accès au crédit,
  2. Ils produisent peu et de manière peu compétitive,
  3. Ils ne dégagent pas de marges pour investir,
  4. Ils restent perçus comme non rentables.

Et le continent importe pour des milliards de produits agricoles chaque année, faute d’avoir investi sérieusement dans ses producteurs.

Et pourtant… des alternatives existent

Quelques institutions ont compris que le financement agricole demande des approches adaptées :

  • Banques agricoles spécialisées,
  • Institutions de microfinance rurales,
  • Crédits fondés sur les stocks ou les contrats d’achat,
  • Garanties mutualisées via des coopératives,
  • Financement par les chaînes de valeur elles-mêmes (agro-industries, plateformes).

Mais ces approches restent encore marginales à l’échelle du continent.

Ce qu’il faut changer : repenser le risque, pas le paysan

Le véritable enjeu n’est pas de transformer le paysan en gestionnaire financier ou en investisseur tech.
C’est le système bancaire qui doit s’adapter à la réalité rurale, en :

  • Comprenant les cycles de production,
  • Acceptant des garanties alternatives,
  • Déployant des outils de scoring agricole intelligents,
  • Formant des agents bancaires spécialisés en zones rurales.

La solution n’est pas de bancariser les paysans à tout prix, mais de “ruraliser” intelligemment la finance.

Chez Agrifrika, nous croyons à une finance agricole de proximité

À notre échelle, nous envisageons de tester des modèles :

  • De paiement différé basé sur la confiance,
  • De structuration de commandes groupées,
  • De notoriété construite autour de la fiabilité logistique et commerciale,
  • De données de performance utiles aux investisseurs.

Car ce n’est pas l’agriculteur qui est risqué : c’est l’écosystème autour de lui qui est fragile, car mal structuré.

Le jour où les banques comprendront que le paysan est un investisseur à impact, nous aurons franchi une étape clé vers notre indépendance alimentaire.


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