Ces dernières années, plusieurs startups africaines ont tenté de révolutionner la distribution agricole grâce au digital. Certaines ont connu des succès remarquables, mais d’autres se sont heurtées à des réalités du terrain plus complexes qu’anticipées. Pour construire des plateformes solides et durables, il est essentiel de tirer les leçons de ces expériences – les échecs comme les réussites.
1. Sous-estimer la logistique : l’erreur la plus coûteuse
Une plateforme de commerce agricole n’est pas seulement une vitrine digitale. Le vrai défi se trouve dans la logistique : collecter les produits, les stocker, les transporter dans de bonnes conditions et les livrer à temps.
L’exemple de Twiga Foods au Kenya est révélateur : malgré une levée de fonds massive (plus de 50 millions de dollars) et une belle traction initiale, la startup a rencontré de sérieuses difficultés à maintenir un modèle logistique rentable. L’extension trop rapide, combinée à la hausse des coûts d’opération, a fragilisé son équilibre. Aujourd’hui, l’entreprise continue d’opérer en adaptant son modèle, preuve que ces défis ne sont pas insurmontables, mais qu’ils exigent une approche prudente.
À l’inverse, Farmcrowdy au Nigeria a montré qu’une expansion progressive, État par État, permet de mieux maîtriser les coûts logistiques et d’ajuster le modèle avant de scaler.
Leçon : bâtir des solutions logistiques adaptées au contexte local avant de chercher à scaler trop vite. Tester, ajuster, puis étendre.
2. Négliger la qualité et la standardisation
Les supermarchés, hôtels et restaurants veulent des produits uniformes, traçables et de qualité constante. Beaucoup de plateformes échouent car elles n’imposent pas de standards clairs aux producteurs. Résultat : une offre trop hétérogène, qui fait fuir les acheteurs institutionnels.
Babban Gona au Nigeria a compris cette leçon : en formant ses membres aux bonnes pratiques agronomiques et en contrôlant la qualité à chaque étape, l’organisation a pu sécuriser des contrats avec Nestlé et d’autres grands acheteurs qui paient des prix premium.
Leçon : accompagner les producteurs avec des formations, du suivi technique et des outils de contrôle qualité est une condition non négociable.
3. Se concentrer uniquement sur le digital
L’erreur de nombreuses jeunes plateformes est de croire qu’une application suffit à transformer une chaîne d’approvisionnement. Or, le digital doit être un support, pas une fin. Sans infrastructures physiques – entrepôts, unités de transformation, systèmes de conservation – l’application reste une coquille vide.
Apollo Agriculture au Kenya combine intelligemment technologie (scoring crédit via mobile) et présence terrain (agents locaux, stockage partagé), créant un modèle hybride plus résilient.
Leçon : associer systématiquement la technologie à des investissements concrets sur le terrain. Le digital amplifie les bonnes opérations, il ne les remplace pas.
4. Ignorer la volatilité des prix
Le marché agricole est par nature instable. Les prix peuvent s’effondrer en quelques jours, ruinant producteurs et plateformes. Ne pas anticiper cette réalité, c’est s’exposer à des pertes colossales.
Dans d’autres régions du monde, des solutions existent : les bourses agricoles comme la Chicago Mercantile Exchange permettent de sécuriser les prix via des contrats à terme. En Afrique, l’Ethiopian Commodity Exchange a démontré qu’un système adapté au contexte local peut améliorer la transparence des prix et réduire la volatilité pour les petits producteurs.
Leçon : intégrer des mécanismes de protection contre la volatilité, que ce soit via des contrats planchers, des assurances, ou des systèmes de prix garantis à l’avance.
5. Oublier la confiance et les relations humaines
Dans un secteur encore très informel, beaucoup de plateformes ont échoué faute d’avoir su gagner la confiance des producteurs et des acheteurs. Promesses non tenues, retards de paiement ou communication insuffisante ont suffi à briser la relation.
Le taux de remboursement de 99,9 % chez Babban Gona ne vient pas que d’un bon système de crédit collectif, mais surtout d’une relation de confiance construite année après année avec les agriculteurs.
Leçon : la technologie ne remplace pas la confiance. Il faut instaurer des règles claires, respecter les engagements religieusement et créer un climat de partenariat réel.
Ce qui fonctionne : les facteurs de succès
Les plateformes qui réussissent partagent plusieurs caractéristiques :
- Croissance progressive plutôt qu’expansion brutale
- Équilibre entre tech et terrain avec des équipes mixtes
- Focus sur un segment avant de diversifier (maïs, tomates, lait, etc.)
- Partenariats stratégiques avec acteurs établis (banques, distributeurs, gouvernements)
- Métriques de rentabilité suivies dès le départ, pas seulement le volume
La voie d’Agrifrika
Chez Agrifrika, nous avons retenu ces leçons des succès et des échecs du secteur. Notre approche repose sur trois piliers :
- Une technologie simple et adaptée aux réalités des producteurs, sans chercher à tout digitaliser immédiatement.
- Des infrastructures locales (stockage, transformation, logistique) pour fiabiliser la chaîne avant de scaler.
- Des mécanismes financiers innovants, inspirés des marchés internationaux mais adaptés au contexte africain, pour protéger les agriculteurs et sécuriser les acheteurs.
L’ambition n’est pas seulement de créer une plateforme digitale, mais de bâtir un écosystème complet, capable de transformer l’agriculture africaine et de la rendre compétitive sur le long terme. En apprenant autant de Twiga que de Babban Gona, autant d’échecs que de réussites.


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