Du cacao de l’Est aux tomates de l’Ouest : comment l’Agritech transforme l’agriculture dans les 10 régions du Cameroun

Dans les plantations de cacao de la région de l’Est, Adamou Nchange Kouotou teste sa révolutionnaire application Agrix Tech. À des centaines de kilomètres, dans les Hauts-Plateaux de l’Ouest, Pyrrus Koudjou utilise son kit ClinicAgro pour analyser les sols en 60 secondes. Deux entrepreneurs, deux régions, une même ambition : révolutionner l’agriculture camerounaise grâce au numérique.

Le Cameroun vit aujourd’hui une transformation agricole sans précédent. Avec 100 millions de dollars investis par la Banque mondiale dans le programme PATNUC (Projet d’Accélération de la Transformation Numérique), plus de 70 250 petits exploitants découvrent les bienfaits de l’agritech.

L’Est et le centre : le cacao connecté prend racine

Dans les régions de l’Est et du Centre, qui produisent respectivement 5% et 35% du cacao national, les cacaoculteurs adoptent des solutions numériques prometteuses. Agrix Tech, la startup d’Adamou Nchange Kouotou, utilise l’intelligence artificielle pour diagnostiquer les maladies des plants de cacao.

“En Afrique, 49% des cultures sont perdues à cause des maladies et des ravageurs”, explique le fondateur d’Agrix Tech. Son application mobile scanne les feuilles malades et propose un traitement en quelques secondes, révolutionnant ainsi les pratiques traditionnelles.

Grâce au système de bons électroniques du PATNUC, plus de 4 000 producteurs de cacao bénéficient depuis avril 2024 de subventions pour acheter leurs engrais et semences directement via leur smartphone. Fini les longues files d’attente et les intermédiaires coûteux.

L’Ouest : innovation High-Tech dans les hauts-plateaux

Dans la région de l’Ouest, connue pour ses tomates et ses légumes, l’innovation prend une forme différente. Pyrrus Koudjou a développé ClinicAgro, un kit révolutionnaire d’analyse des sols qui donne des résultats en moins de 60 secondes.

“L’agriculteur fait son prélèvement de terre, connecte les capteurs à son téléphone et obtient immédiatement les informations sur l’acidité, les nutriments et les besoins de son sol”, détaille l’inventeur. Le ministère de l’Agriculture qualifie cet outil de “révolutionnaire” pour le secteur.

L’agriculteur Rostant Simeu témoigne : “J’ai utilisé ClinicAgro pour comprendre pourquoi mes bananiers plantains poussaient mal près de Douala. En une minute, j’ai eu ma réponse et j’ai pu corriger le problème.”

Le Sud-Ouest : premier producteur malgré les défis

La région du Sud-Ouest, qui produit 50% du cacao camerounais, fait face à des défis sécuritaires mais reste innovante. Malgré une chute de 40% due à l’insécurité, les producteurs utilisent des groupes WhatsApp pour partager des informations sur les prix et coordonner leurs ventes.

Le centre commercial de cacao de Kumba reste le plus important d’Afrique centrale, et de nouvelles applications comme AGRI’APP, lancée à Douala par Nourane Foster et Firmin Bouler Fotsing, connectent directement les agriculteurs aux acheteurs.

Cette plateforme ambitieuse, avec 500 millions de FCFA d’investissement prévu, vise à capter une part du marché agricole camerounais estimé à 1 500 milliards de FCFA.

Le Nord et l’Extrême-Nord : technologie contre sécheresse

Dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord, où la Sodecoton encadre la production de coton qui représente 22% des exportations agricoles, les éleveurs utilisent des applications météo pour optimiser le déplacement de leurs troupeaux.

Les prévisions satellitaires aident les agriculteurs à anticiper les périodes de sécheresse et à adapter leurs cultures. Le programme PATNUC investit massivement dans la connectivité rurale avec 15 milliards de FCFA prévus en 2025 pour connecter ces zones reculées.

Les autres régions : une révolution nationale

Dans le Littoral, l’agricultrice Rebecca Kamgue a récolté 350 tonnes de maïs grâce aux nouvelles techniques et vise 500 tonnes pour la prochaine campagne. Les plateformes numériques facilitent l’accès aux marchés urbains de Douala.

Au Centre, près de Yaoundé, le secteur de l’hévéa (60 000 tonnes de production) bénéficie d’applications qui optimisent la saignée des arbres selon les conditions météorologiques.

Dans le Sud, les 400 000 hectares de cacao s’appuient sur des systèmes agroforestiers durables qui préservent 40% de la couverture forestière nationale.

En Adamaoua, l’élevage bovin se modernise avec des puces électroniques qui suivent la santé des animaux, réduisant les pertes et optimisant la production laitière.

Dans le Nord-Ouest, malgré les difficultés, les producteurs de café utilisent des applications de suivi des prix internationaux pour mieux négocier leurs ventes.

L’agritech innovation challenge : accélérateur national

En 2024, le gouvernement camerounais a lancé l’Agritech Innovation Challenge, financé par le PATNUC. Ce concours a sélectionné 10 startups prometteuses, chacune recevant jusqu’à 40 millions de FCFA pour développer ses solutions.

Plus de 9 000 producteurs sont déjà inscrits sur les plateformes numériques du programme, marquant un tournant dans la digitalisation agricole du pays.

Les chiffres d’une révolution

Les résultats parlent d’eux-mêmes. L’agriculture, qui représente 16,9% du PIB camerounais et emploie 62% de la population active, connaît un taux de croissance annuel prévu de 3,8% jusqu’en 2029.

Entre 2019 et 2024, le secteur agricole a généré 26,8 milliards de dollars de valeur ajoutée. Les cultures d’exportation, portées par l’envolée des cours du cacao (+123% en 2024), compensent les défis logistiques.

Bien que le Cameroun soit encore classé 114ème sur 131 pays dans l’indice de transformation numérique, avec 10,05 millions d’utilisateurs Internet en 2022, la dynamique s’accélère.

Défis et perspectives

Cette révolution numérique n’est pas sans obstacles. La connectivité reste faible dans certaines zones rurales, et seulement 15,4% des terres sont arables. Mais le PATNUC prévoit d’étendre la large bande aux localités rurales avec un budget de plus de 21 milliards de FCFA en 2025.

Les jeunes diplômés camerounais reviennent massivement vers l’agriculture, transformant un secteur longtemps délaissé en moteur d’innovation. Comme le souligne Félix Nkapemin du projet PACA : “L’agriculture n’est plus considérée aujourd’hui comme un sous-métier.”

Un modèle pour l’Afrique

Le modèle camerounais inspire déjà d’autres pays africains. Avec ses startups locales comme Agrix Tech, ClinicAgro et AGRI’APP, ses programmes gouvernementaux ambitieux et ses 90% de ménages ruraux impliqués dans l’agriculture, le Cameroun dessine les contours de l’agriculture africaine de demain.

Du cacao de l’Est aux tomates de l’Ouest, en passant par le coton du Nord et l’hévéa du Sud, chaque région apporte sa pierre à l’édifice d’une agriculture camerounaise connectée, productive et durable.

Cette révolution silencieuse, menée smartphone en main dans les champs des dix régions, prouve qu’innovation et tradition peuvent s’allier pour nourrir un continent et prospérer dans l’économie mondiale du 21ème siècle.

Sources principales

Institutions gouvernementales : Projet PATNUC (patnuc.cm), Institut National de la Statistique du Cameroun (INS), Ministère des Postes et Télécommunications du Cameroun

Startups documentées : Agrix Tech (Agence Ecofin, 2021 ; Connecting Africa, 2024), ClinicAgro (SciDev.Net, 2021), AGRI’APP (Cameroon CEO, 2018)

Organismes internationaux : Banque mondiale (2025), CIRAD Cameroun (2024), Mordor Intelligence (2024)

Concours et financement : Agritech Innovation Challenge (Africa IT News, 2024), Investir au Cameroun (2023-2024)

Données sectorielles : Fabrik Aliments (2025), Inter-réseaux (2024), Wikipédia Agriculture Cameroun (2023)


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