Il y a des saveurs qu’aucun livre de cuisine au monde ne peut expliquer. Des goûts et des parfums qui n’appartiennent qu’au Mboa, portés par les recettes de nos grands-mères, forgées dans le silence et la patience des cuisines enfumées et les secrets bien gardés de la vieille marmite. Un goût authentique, inimitable, que seuls ceux qui ont grandi dans les cuisines des foyers à trois pierres, et qui ont connu la marmite à trois cornes, peuvent reconnaître dès la première bouchée.
Le goût des mets conservés au grenier
Une note de fumé dans le met de pistache, la tenu militaire, le koki makamba ou le mitoumba, bien attachés dans les feuilles de bananiers, et qui a fait un mois au grenier, pas oublié non, c’est voulu. Grand-mère sait ce qu’elle fait. Elle ne fait jamais les choses à la hâte. Même si tu lui offres dix hectares de champ défrichés, tant que le bon moment n’est pas venu, elle ne détachera rien. Elle attend le bon moment, le bon parfum, le bon goût, tout est mesuré et chronométré dans sa tête pleine de savoir. Parce qu’elle ne cuisine pas : elle sculpte le goût.
Le koki
Tu veux qu’on parle du koki Mbo’o ? Il ne passe jamais par le moulin. Non, les graines sont directement versées dans le bon mortier rond, celui du koki, pas celui du taro, ni des sauces, ni du piment. Oui, chaque mortier a sa mission. Là, les mains patientes transforment progressivement les graines de koki en mousse, avec une mélodie prévue à cet effet, rythmée par la cadence du pilon. Je me souviens que grand-mère nous disait que c’est avec cette mélodie qu’elle parvient à remplir le mortier avec juste une poignée de koki. Quand le mortier est enfin plein, le mélange ne se fait pas en vrac. Chaque boule est façonnée à part, avec une mesure d’eau, d’huile, de sel, de feuille de macabo… chaque détail compte. On ne vide jamais le mortier sans en réserver un peu pour le koki à la poêle, ce secret transmis seulement par formation pratique, jamais par parole. Celui-là, on le coupe en petites tranches, comme du pain bénit. Et enfin, pour les plus jeunes, on verse le reste d’huile rouge chauffée dans le mortier, pour qu’ils lèchent le fond de la pâte, comme un dernier hommage à ce processus presque sacré, en attendant que le koki soit cuit. Tout ce qui nous a rendus forts.
Le ndolè Sawa
Quand il perd toute son amertume, il n’est plus de chez nous. Grand-mère ne connaissait pas la bicarbonate, mais le sel gemme. La patience était son plus grand atout : des longues heures pour cueillir, couper, laver plusieurs fois, écraser les arachides à la pierre, griller les écrevisses sur le couvercle chaud de la marmite au feu, etc. Elle ne connaît pas la manucure, donc ne se souciait pas de ses mains qui noircissent, se brûlent et se blessent. Elle ne connaissait pas le cube, donc pas de triche. Son seul objectif : régaler sa famille. Et le résultat était chaque jour toujours surprenant.
Ce que nous sommes en train de perdre
Aujourd’hui, le goût du Mboa s’étouffe, se dilue dans les cubes et les sauces express. Il se noie dans les fast-foods et tous ces produits importés. Dans nos villes, comme dans nos villages, les recettes se perdent. Les jeunes désertent les cuisines, et les grands-mères meurent avec leurs secrets. Pourquoi ? Parce que le monde va vite. Parce qu’on nous a fait croire que ce qui vient d’ailleurs est meilleur, plus raffiné, plus moderne.
Nos saveurs sont des trésors
Mais nos saveurs sont des trésors vivants. Pourquoi croyez-vous que nos mets et nos produits, ceux que nous même troquons avec les boites de conserves, soient autant célèbres et convoités ailleurs sinon ?
La galette de manioc à l’huile rouge (ten ten), la poudre de maïs grillé (taux de maïs), le gâteau de plantain séché (mpoup), le piment écrasé au mortier avec du sel pour adoucir les pépins, la sauce noir sans cube… Tous ces gestes sont des fragments de patrimoine. Nos mets traditionnels ne sont pas juste bons. Ils sont vivants. Ils nous relient à notre terre, à nos ancêtres. Ils définissent notre manière d’exister au monde.
Reprenons goût à ce qui nous ressemble
Le goût du Mboa, ce n’est pas juste une question de palais. C’est une question de souveraineté, c’est reprendre le pouvoir sur notre assiette, c’est refuser d’abandonner notre patrimoine culinaire pour des boîtes de conserve, c’est réapprendre à cuisiner selon les saisons, avec ce que notre terre produit, sans additifs, sans conservateurs.
Et si on reprenait goût à ce qui nous ressemble. Et si on apprenait à nos enfants que la sauce blanche vaut mieux que la crème fraîche.
Et si, autour d’un plat de foléré au couscous de riz, d’un bon mbongo façon village, on retissait la toile de notre patrimoine culinaire ?
Le goût du terroir, ce n’est pas juste une affaire de palais. C’est une affaire de mémoire, un patrimoine culturel, une richesse à sauvegarder.
Chez Agrifrika, nous croyons que les solutions de demain se trouvent dans les traditions d’hier. C’est pourquoi nous valorisons les produits du terroir, les pratiques agricoles ancestrales, les recettes oubliées. Car derrière chaque plat traditionnel, il y a une histoire et une identité à transmettre, une promesse de durabilité, et un avenir à réinventer.
Et toi, quel est le plat de ton village qui te rend fier d’être Africain(e) ? Écris-le en commentaire.
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