On entend le mot : “Agritech” un peu partout depuis un moment. Il est sur les lèvres des investisseurs, dans les rapports des ONG et au cœur des discours sur l’avenir de l’Afrique. On nous parle de drones qui survolent les champs, d’applications intelligentes et de capteurs connectés. La promesse est belle : une révolution agricole menée par la technologie.
Mais derrière le vernis de la modernité, une question s’impose : cette technologie sert-elle vraiment celles et ceux qui sont au cœur du système, les producteurs ? Ou n’est-elle qu’un nouveau gadget, une illusion de plus qui détourne l’attention et les ressources des vrais problèmes ?
Comme pour les financements, le risque est grand que la technologie coule à flots… mais pas jusqu’aux champs. Voici pourquoi il faut être vigilant, et ce que doit être, selon nous, la véritable vocation de l’Agritech.
1. L’illusion de la technologie “miracle”
Le premier piège est de croire que la technologie la plus complexe est la meilleure. On présente des drones à des agriculteurs qui luttent pour accéder à des semences de qualité. On vante les mérites de l’analyse de données par satellite à des productrices qui ont avant tout besoin d’un accès fiable à l’eau et d’un marché pour vendre leur récolte sans se faire exploiter.
Cette “modernité” est souvent une solution à la recherche d’un problème. Elle brille aux yeux des investisseurs, mais elle est déconnectée des besoins immédiats et urgents du terrain. La survie et la prospérité de l’agriculture africaine se jouent aujourd’hui, avec des solutions d’aujourd’hui.
2. Des solutions “hors-sol”, conçues loin du terrain
Qui conçoit ces fameuses applications ? Trop souvent, ce sont des équipes brillantes, mais qui n’ont jamais mis les pieds dans un champ de manioc ou discuté des prix dans un marché local. Elles développent des outils basés sur des modèles occidentaux, pour des infrastructures qui n’existent pas et pour des utilisateurs qui n’ont ni le même accès à internet, ni les mêmes habitudes digitales.
Résultat : on crée des solutions parfaites sur le papier, mais inutilisables en pratique. On pense à la place des producteurs, on décide pour eux, et on s’étonne ensuite que l’adoption ne suive pas. L’agriculteur n’est pas un simple “bénéficiaire” de la technologie ; il doit en être le premier architecte.
3. Le risque du nouvel intermédiaire digital
La promesse de l’Agritech est de raccourcir la chaîne de valeur, d’éliminer les intermédiaires prédateurs qui s’enrichissent sur le dos des producteurs. Mais le risque est grand de simplement remplacer un intermédiaire physique par un intermédiaire digital.
Si une plateforme se contente de capter une commission sans apporter une valeur ajoutée claire, transparente et significative, elle ne fait que perpétuer un système d’extraction. La technologie ne doit pas être une nouvelle barrière, un nouveau péage, mais un pont.
Alors, que faire ? Notre vision de l’Agritech
Chez AGRIFRIKA, nous croyons que l’Agritech a un rôle fondamental à jouer. Mais pas n’importe comment. Nous avons fait le choix inverse de la course à la sophistication.
1. Partir des vrais problèmes :
Notre point de départ n’est pas la technologie, mais la discussion avec les producteurs. De quoi ont-ils besoin ? D’un prix juste et transparent. D’un débouché fiable pour leur récolte. Réduire les pertes après la récolte. Des conseils simples et applicables. C’est à ces problèmes que notre technologie doit répondre.
2. Utiliser la technologie pour connecter :
Pour nous, le digital n’est pas une fin en soi. C’est l’outil le plus puissant pour structurer l’information et créer des liens. Connecter le producteur aux prévisions météo utiles. Connecter le producteur aux acheteurs (restaurants, distributeurs, familles) qui cherchent la qualité et la traçabilité. Connecter toute une communauté autour d’une alimentation locale et durable.
3. Miser sur la simplicité et l’accessibilité : Une technologie n’est utile que si elle est utilisée. C’est pourquoi nous privilégions des solutions qui fonctionnent sur un simple téléphone, qui ne demandent pas une connexion internet parfaite, et dont l’interface est pensée pour et avec les utilisateurs finaux.
L’Agritech ne vaudra jamais rien si elle ne se traduit pas en augmentation des revenus pour les producteurs, en réduction du gaspillage, et en dignité pour celles et ceux qui nous nourrissent. Le véritable enjeu n’est pas de rendre l’agriculture “intelligente”, mais de lui donner les outils pour être plus juste, plus résiliente et plus prospère.
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