Au cœur des villes africaines, ils bruissent de vie, de voix, de senteurs épicées et de gestes familiers. Les marchés traditionnels, souvent perçus comme archaïques face à la montée fulgurante des supermarchés, demeurent pourtant un pilier essentiel – et trop souvent oublié – de la sécurité alimentaire sur le continent. Au Cameroun particulièrement, il faut voir le niveau de vie qui s’y opère, généralement entre 3:00 et 5:00 du matin, lorsque vous pouvez être témoin de l’accueil des vivres frais arrivés tout droit de l’autre bout du pays ou de la région. Et que la voix du chauffeur, tremblante mais en même temps d’une fermeté énigmatique, laisse transparaître un labeur à nul autre pareil, assorti d’une indescriptible fierté qui fait penser à la mission accomplie.
Une modernité qui fascine, une tradition qui persiste
L’avènement des grandes surfaces, avec leurs étals aseptisés, leurs codes-barres et leurs prix fixes, a souvent été applaudi comme un signe de « développement ». Les supermarchés symbolisent l’organisation, la traçabilité, la qualité supposée. Ils séduisent une classe moyenne urbaine en quête de confort, de rapidité, de standardisation. Mais à mesure que ces temples de la consommation s’implantent dans nos villes, ils éclipsent une réalité : les marchés traditionnels ne sont pas des reliques du passé. Ils sont des écosystèmes vivants, adaptables, profondément ancrés dans les dynamiques sociales et économiques locales.
Le marché, un espace de vie avant d’être un lieu de commerce
Dans les marchés africains, acheter de la nourriture n’est pas une transaction froide. C’est un échange humain. On y négocie non seulement le prix d’un panier de gombo, mais aussi des nouvelles de la famille, des conseils de cuisson, des anecdotes de quartier. Le marché, c’est l’endroit où les vendeuses appellent leurs clientes par leur prénom ou par des diminutifs comme “asso” pour invoquer son associé (les vendeurs et vendeuses en Afrique considèrent chaque client comme un actionnaire de leur entreprise dans la mesure où ce dernier peut leur faire fausse route, avec des effets catastrophiques sur leur affaire). Où un crédit peut être accordé sur la base de la confiance. Où l’échange va bien au-delà du produit.
Dans un contexte où l’informalité est souvent ce qui permet de survivre, ces espaces sont de véritables tampons sociaux. Ils absorbent les chocs économiques, permettent aux petits producteurs d’écouler leur marchandise sans intermédiaire, et maintiennent des prix accessibles pour les consommateurs les plus vulnérables.
Un maillon stratégique dans la chaîne de sécurité alimentaire
La sécurité alimentaire ne se limite pas à produire suffisamment de nourriture. Elle concerne aussi l’accès, la disponibilité locale, la diversité des produits, et la résilience des circuits de distribution. À ce titre, les marchés traditionnels jouent un rôle irremplaçable :
- Ils offrent des produits frais, locaux, souvent de saison.
- Ils permettent un écoulement rapide entre producteurs ruraux et consommateurs urbains.
- Ils sont flexibles, capables de s’adapter à des ruptures logistiques là où les grandes surfaces sont dépendantes de chaînes d’approvisionnement rigides.
En Afrique, ignorer les marchés traditionnels dans les politiques alimentaires revient à négliger une partie entière du système.
Réhabiliter sans idéaliser
Il ne s’agit pas d’opposer systématiquement supermarchés et marchés traditionnels, ni de nier les défis auxquels ces derniers font face : manque d’hygiène, insécurité, précarité des acteurs, excès d’intermédiaires qui augmentent souvent le prix de vente final au détriment même du producteur initial, etc. Mais plutôt de reconnaître leur valeur stratégique et humaine, et d’imaginer des formes hybrides où la modernisation ne rime pas avec déshumanisation.
Des initiatives locales montrent la voie : numérisation des commandes tout en maintenant le lien vendeur-client, organisation des maraîchères en coopératives, amélioration des infrastructures de marché sans déstructurer l’ambiance communautaire.
En conclusion : le marché est une mémoire vivante
À l’heure où l’Afrique s’urbanise à grande vitesse, pensons notre sécurité alimentaire avec une vision holistique. Le marché traditionnel n’est pas un vestige, c’est une mémoire vivante, un lien entre la terre et la ville, entre le producteur et le consommateur. Le reléguer au second plan, c’est appauvrir la richesse relationnelle et culturelle qui fait aussi la spécificité de notre manière de nourrir nos villes.
Chez Agrifrika, nous croyons en une agriculture connectée, mais aussi en des circuits de distribution qui respectent l’humain, la proximité et la confiance. Et les marchés traditionnels, dans ce schéma, méritent toute leur place. C’est pour cette raison qu’à long terme, nous entendons développer des outils simples et efficaces qui permettront également à ces marchés traditionnels de perdurer dans le temps, en offrant une qualité et un confort de service équivalent à celui auquel peuvent prétendre les clients des grandes surfaces.
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