Les avantages d’un partenariat entre les agriculteurs et les grandes entreprises alimentaires

Dans un contexte de demande alimentaire croissante, de quête de traçabilité et de transformation des chaînes de valeur, les partenariats entre agriculteurs et grandes entreprises alimentaires apparaissent comme une solution puissante pour sécuriser les revenus, structurer les filières et répondre aux exigences du marché.

Le cas Leclerc : un modèle français en expansion

Depuis 2019, le groupe E.Leclerc, géant français de la grande distribution, a développé un écosystème de partenariats directs avec des coopératives agricoles à travers plusieurs gammes engagées.

Les initiatives concrètes :

  • “Soutenons nos Agriculteurs” (2021) : Gamme de près de 30 produits garantissant une rémunération plus juste à plus de 25 000 éleveurs grâce à des contrats de 3 ans sur 200 millions de litres de lait par an
  • 15 000 “Alliances Locales” : Partenariats directs avec des producteurs situés à moins de 100 km des magasins, générant en moyenne 25 partenariats par magasin
  • “Récoltons l’Avenir” : Programme d’accompagnement sur 5 ans pour les agriculteurs en conversion bio

Les résultats tangibles :

Cette approche a permis :

  • Aux agriculteurs partenaires de sécuriser leurs revenus et de se projeter dans l’avenir
  • À Leclerc de contrôler la qualité et l’origine des produits
  • Aux consommateurs d’acheter des produits locaux à prix équitable
  • Un chiffre d’affaires de 17 millions d’euros en six mois pour 43 magasins du Finistère avec 700 producteurs locaux

Au lieu de simplement “acheter moins cher”, Leclerc s’est positionné comme acteur de structuration des filières agricoles françaises, avec un objectif de 20 000 alliances d’ici fin 2025.

Nestlé au Brésil : l’agriculture durable à grande échelle

Nestlé développe depuis plus d’une décennie des programmes de “partenariats responsables” avec des producteurs laitiers au Brésil. L’entreprise travaille avec plus de 1 500 producteurs laitiers pour adopter des systèmes d’élevage plus respectueux des animaux, des cultures de couverture et des sources d’énergie renouvelable.

Le programme concret :

Via Dairy Partners Americas (joint-venture avec Fonterra), Nestlé a établi des partenariats avec plus de 2 200 fermes pour améliorer la qualité du lait, la sécurité et la durabilité. Le programme inclut :

  • Formation en compétences vétérinaires de base
  • Systèmes de traitement des eaux usées et de drainage
  • Pratiques de conservation de l’eau
  • Gestion améliorée du fumier

L’objectif : réduire l’impact environnemental tout en améliorant la productivité et les revenus des agriculteurs.

Unilever : transformation des chaînes d’approvisionnement durables

Unilever a développé une approche innovante dans l’huile de palme et le thé, avec un engagement de long terme auprès de coopératives agricoles.

Programme huile de palme :

Unilever a soutenu plus de 26 000 petits producteurs indépendants à travers divers programmes de formation pour implémenter de bonnes pratiques agricoles. Le programme comprend :

  • Support de plus de 17 500 petits producteurs pour obtenir la certification RSPO
  • Achat de plus de 148 000 tonnes de crédits RSPO en 2024, représentant plus de 22 000 petits producteurs
  • Cartographie de 20 000+ petits producteurs sur près de 55 000 hectares

Innovation technologique :

Unilever utilise des solutions digitales comme PemPem pour améliorer la traçabilité, avec 10 000 agriculteurs intégrés dans les provinces de Riau et Sumatra Nord.

PepsiCo : partenariats techniques et controverses

PepsiCo développe des collaborations avec des producteurs de pommes de terre, notamment en Inde et en Amérique latine, mais avec des résultats mitigés.

Les programmes positifs :

  • Partenariat avec 24 000 agriculteurs dans 13 États en Inde via le programme “#AwaazMittiKi”
  • 83 fermes de démonstration testant les meilleures pratiques dans le monde
  • Programme régénératif en Amérique latine avec Yara International, utilisant des engrais à faible émission carbone

Les controverses :

Cependant, le cas PepsiCo illustre aussi les dérives possibles : en 2019, l’entreprise a poursuivi des agriculteurs indiens pour utilisation “illégale” de sa variété de pomme de terre FC5, réclamant 143 000$ par agriculteur avant de retirer ses plaintes suite à la pression publique.

D’autres exemples dans le monde

Innovations émergentes :

  • Partenariat technologique : PepsiCo s’associe à N-Drip pour aider les agriculteurs à adopter l’irrigation haute efficacité sur 11 000 hectacres d’ici 2025
  • Financement collaboratif : Le “PAO Accelerator” de PepsiCo co-investit dans des projets agricoles en Australie, Colombie, Égypte, Inde, Pakistan et Europe

Oui, mais… quelles limites ?

Ces partenariats ont aussi montré leurs limites :

Risques structurels :

  • Dépendance excessive des agriculteurs vis-à-vis d’un seul acheteur
  • Risque de pression sur les prix à long terme, malgré les contrats initiaux
  • Uniformisation des pratiques agricoles, parfois au détriment de la biodiversité locale ou des savoir-faire traditionnels

Déséquilibres de pouvoir :

  • “Intégration déguisée” où l’autonomie réelle du producteur est largement réduite
  • Propriété intellectuelle abusive (cas PepsiCo en Inde)
  • Exclusion des non-partenaires qui peuvent se retrouver marginalisés

Défis de mise en œuvre :

  • Coûts de transition vers des pratiques durables souvent à la charge des agriculteurs
  • Complexité administrative des certifications et audits
  • Disparités géographiques : concentration des investissements dans certaines régions

Quelle voie pour l’Afrique ?

En Afrique, ces partenariats représentent une opportunité immense, surtout pour :

Potentiel de structuration :

  • Formaliser les filières locales (maïs, manioc, oignons, volaille, café, cacao)
  • Garantir des débouchés stables pour les agriculteurs dans un contexte d’urbanisation croissante
  • Répondre aux besoins des grandes surfaces, restaurants et transformateurs en expansion

Adaptation nécessaire :

Mais l’approche doit être différente. Pour éviter les dérives observées ailleurs, il faut :

Gouvernance équilibrée :

  • Impliquer les producteurs dès la conception des partenariats
  • Prévoir des clauses de sortie et des mécanismes de régulation indépendants
  • Renforcer les coopératives pour équilibrer le rapport de force

Transparence et équité :

  • Introduire de la transparence dans les relations contractuelles
  • Partage équitable de la valeur ajoutée
  • Respect des droits de propriété intellectuelle traditionnelle

Durabilité environnementale et sociale :

  • Pratiques agroécologiques adaptées aux contextes locaux
  • Formation continue et transfert de technologies appropriées
  • Inclusion des femmes et des jeunes dans les programmes

Vers des partenariats équitables et durables

Chez Agrifrika, nous croyons que ces alliances peuvent fonctionner à condition qu’elles soient construites sur la confiance, la transparence et la co-construction.

Notre vision :

Il ne s’agit pas de faire des agriculteurs des sous-traitants silencieux, mais des partenaires stratégiques du système alimentaire africain. Les leçons des expériences internationales – succès comme échecs – doivent nous guider vers :

  • Des contrats équilibrés qui protègent les intérêts de toutes les parties
  • Une innovation partagée qui respecte les savoirs locaux
  • Une création de valeur inclusive qui profite aux communautés rurales
  • Une durabilité environnementale qui préserve les écosystèmes africains

L’avenir de l’agriculture africaine ne se fera pas sans partenariats, mais il se fera avec des partenariats justes, transparents et mutuellement bénéfiques.


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