Redonnons du sens à ce qu’on mange

Il est 5 heures du matin à Tonga, dans l’Ouest du Cameroun. Les coqs chantent, le brouillard caresse encore les cimes des collines, et Marie attache son foulard avant de rejoindre son champ de macabo. Dans son panier, une houe, un bidon d’eau, quelques outils. Elle marche pieds nus, le regard fixé sur cette terre rouge qu’elle connaît par cœur. Elle y plante l’avenir, sans le savoir.

Chaque matin, comme elle, des milliers de femmes et d’hommes en Afrique se lèvent avec une seule idée  en tête : nourrir. Ils ne comptent pas les heures, ils ignorent le cours de la bourse ou les tendances alimentaires à la mode. Juste, ils sèment, arrosent, récoltent, la plupart du temps à la main, parfois sous un soleil brûlant, parfois sous une pluie orageuse, pour ne pas accuser de retard suivant leurs prévisions à eux. Ils nourrissent le continent, et pourtant, on les oublie.

Pendant ce temps, à Douala, Yaoundé ou Abidjan, dans les supermarchés éclairés au néon, les consommateurs hésitent entre un paquet de chips importé d’Europe et quelques bâtons de manioc oubliés dans un coin. En général même, le choix est déjà fait, on préfère de loin ce qui vient d’ailleurs, même si c’est mille fois plus cher, même si on ne sait rien des conditions de fabrication et de conservation. Parfois, ils ne savent même plus reconnaître le goût d’un macabo bouilli sans additif, d’un kwem pilé au mortier ou d’une sauce gombo préparée au feu de bois. Ce lien s’est distendu. Ce qu’il y avait de sacré entre le champ et l’assiette s’est perdu dans les vitrines et les slogans.

Mais une révolution silencieuse est en marche.

Elle commence dans les comptoirs du quartier, là où l’on discute encore avec la vendeuse, où l’on peut sentir, toucher, goûter. Elle prend racine dans les coopératives qui choisissent de mieux produire, sans épuiser les sols. Elle pousse dans les jardins urbains, sur les balcons, dans les écoles où l’on enseigne déjà l’agriculture. Elle vit à travers chaque consommateur qui choisit, en conscience, de manger local, de manger africain, de manger vrai.

Redonner du sens à ce qu’on mange, c’est d’abord reconnaître la dignité du travail agricole. C’est comprendre que derrière chaque grain de riz, il y a une histoire. Un choix. Une lutte. Une promesse.

C’est aussi se réapproprier notre culture culinaire, refuser que nos plats soient considérés comme secondaires ou folkloriques. Le koki, le ndolè, le gombo, le eru, le couscous de mil, le pistache, l’igname, la sauce jaune… Ce sont des chefs-d’œuvre. Des trésors de savoir-faire, de santé, et de goût.

Enfin, redonner du sens, c’est penser à demain. C’est manger en se demandant : d’où vient ce que je consomme ? Qui l’a produit ? Dans quelles conditions ? À qui profite mon achat ? Est-ce que je nourris une chaîne de valeur africaine, ou alors un système qui nous appauvrit ?

Chez Agrifrika, nous croyons que chaque repas est un acte politique. Une déclaration d’amour à nos territoires, à notre souveraineté, à notre avenir.

Alors, la prochaine fois que vous vous asseyez à table, pensez à Marie, à ses mains calleuses, à sa terre, à ce que cela coûte de nourrir un peuple. Et choisissez avec gratitude, de redonner du sens à ce que vous mangez.


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