En Afrique, l’agriculture repose principalement sur des systèmes pluviaux vulnérables aux dérèglements climatiques. Or, le continent enregistre déjà des sécheresses, inondations et vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, alimentées par le changement climatique. Entre 2009 et 2020, les inondations ont affecté durablement la sécurité alimentaire de 5,6 millions d’Africains, notamment en Afrique de l’Ouest et Centrale. Parallèlement, l’Afrique subsaharienne souffre d’insécurité alimentaire croissante, exacerbée par des conflits, la surexploitation des terres, l’inflation et des infrastructures agricoles inadéquates .
Le Cameroun : un agriculteur climatique ?
A. Contexte structurel et importance de l’agriculture
Au Cameroun, plus de 70 % de la population travaille dans l’agriculture, secteur qui génère près d’un tiers des exportations nationales, juste derrière le pétrole. L’essentiel des cultures – manioc, maïs, riz – est pluvial, donc extrêmement dépendant des précipitations et du climat.
B. Tendances climatiques et impacts
- Depuis les années 1970, les températures moyennes ont déjà augmenté de 1,5 °C, avec des projections allant jusqu’à +2 à +3 °C d’ici 2050, en particulier dans le Nord.
- La région du Nord enregistre une baisse de 10 à 20 % des pluies annuelles, perturbant les cycles agricoles traditionnels.
Ces changements provoquent :
- Une baisse des rendements agricoles : le maïs connaît une diminution de plus de 20 % dans la région du Far North entre 1998 et 2012.
- Selon des projections, la production agricole pourrait chuter de 6 à 14 % d’ici 2050 si rien n’est fait.
- Le secteur de l’élevage est aussi touché : on estime que 2,6 millions de têtes de bétail (~71 % du cheptel actuel) seront stressées par la sécheresse chaque année d’ici 2050, tandis que 100 000 tonnes de cultures sont affectées chaque année.
C. Niveaux de vulnérabilité
Les agriculteurs pratiquant une agriculture de subsistance, souvent avec des techniques traditionnelles, sont particulièrement fragiles face aux chocs climatiques. La qualité du cacao a chuté jusqu’à 15 % à cause des précipitations irrégulières et du stress hydrique .
Les zones les plus vulnérables sont le Far North, le Logone-Birni, le Mayo-Tsanaga… où vulnérabilité climatique rime avec crise alimentaire : 22,9 % de la population souffraient d’insécurité alimentaire en 2021 (contre 10 % en 2018), et 16 % en crise alimentaire aiguë dans le Far North.
Stratégies et innovations pour s’adapter
A. L’agriculture intelligente face au climat (CSA)
Les agriculteurs adoptent progressivement des pratiques CSA :
- Agroforesterie, associations de cultures, conservation des sols et de l’eau, variétés améliorées, interculture, etc.
- Exemple concret : dans la région de Buea, face aux températures élevées, 41 agriculteurs ont adopté des semences améliorées, 36 ont opté pour l’interculture, d’autres combinent plusieurs techniques (fertilisation, labour minimal…)
B. Innovations locales en gestion de l’eau
- Dans le Far North (division de Diamaré), l’harvest de l’eau de pluie (RWH) via toits captant l’eau permet d’irriguer pendant la saison sèche : résultats expérimentaux montrent un effet positif sur les rendements de légumes (okra, laitue…) malgré un impact statistiquement léger. Autre technique : les “biefs” (micro-barrages temporaires) ralentissent l’eau pour infiltrer les nappes, favorisant le maraîchage hors saison. Ces systèmes ont permis une diversification des cultures (tomates, oignons…) malgré des contraintes d’adoption .
C. Agroforesterie et filières résilientes
- Les systèmes agroforestiers à base de cacao et café, typiques du Cameroun, offrent une meilleure couverture du sol, de l’ombrage et fertilité naturelle. Ils contribuent à réduire les risques climatiques tout en diversifiant les revenus.
- Des pratiques permises par des certifications (FairTrade, Rainforest Alliance) peuvent garantir une meilleure qualité et une durabilité économique.
D. Technologie et prévision
- Des outils numériques fournissent des prévisions locales fiables. Un développeur camerounais a créé une application météo couvrant 213 districts, relayée via radios communautaires, indispensable pour les petits fermiers sans accès direct à Internet.
- Sur le plan international, des initiatives comme AIM for Scale déploient des outils de prévision basés sur l’IA pour appuyer les petits producteurs africains dans la planification agricole et la résilience.
E. Financement climatique et politiques publiques
- Moins de 3 % des financements climatiques mondiaux sont consacrés à l’Afrique, et seulement 1–4 % à l’adaptation agricole via les petits fermiers.
- Le Cameroun a formalisé un plan d’action dans sa NDC (Contributions déterminées au niveau national), visant jusqu’à 35 % de réduction des GES d’ici 2030, avec un accent sur l’intégration agriculture–forêt–land-use et l’adaptation locale .
Aujourd’hui, je peux affirmer que le climat est à la fois une menace et une opportunité pour l’agriculture camerounaise.
Les températures en hausse, la pluviométrie erratique et les événements extrêmes testent notre résilience : rendements en baisse, périls pour nos cultures vivrières et filières d’exportation, hausse de l’insécurité alimentaire dans plusieurs régions… Tout cela met en lumière la fragilité de notre modèle agricole si dépendant du climat.
Pourtant, les solutions existent : CSA locale, agroforesterie, techniques simples comme les biefs ou la récolte d’eau, prévisions climatiques adaptées, et soutien gouvernemental/villageois. Le défi est de mettre ces innovations à l’échelle, d’améliorer l’accès aux financements climatiques, de renforcer les capacités techniques des agriculteurs, et de mettre en place des politiques agricoles et environnementales cohérentes.
Sensibiliser, partager ces pratiques prometteuses, encourager les producteurs à adopter ces méthodes, et pousser les décideurs à investir dans une agriculture résiliente. Le climat oblige à repenser notre manière de cultiver, mais avec les bons outils, nous pouvons non seulement survivre, mais prospérer.
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