Chaque année, des centaines de jeunes Camerounais obtiennent des diplômes en agronomie, en zootechnie, en sciences et techniques agricoles ou encore en économie rurale. Pourtant, une fois le parchemin en poche, nombreux sont ceux qui bifurquent vers d’autres secteurs : banque, ONG, commerce, télécommunications, voire même l’administration publique. Pourquoi ce paradoxe? Pourquoi nos techniciens agricoles et nos ingénieurs agronomes fuient-ils les champs au lieu de le fertiliser? Pourquoi prennent-ils leurs jambes à leur cou alors dit-on, que la terre ne ment pas?
1. Une filière perçue comme un refuge, non comme une vocation
Dans beaucoup de pays africains et le Cameroun n’est pas des moindres, l’orientation universitaire ne se fait pas toujours par passion. Pour une bonne partie des étudiants, intégrer une école d’agriculture est souvent le résultat d’un choix par défaut. J’ai réalisé que la plupart des jeunes qui ont été inscrits dans les filières agricoles, ont en effet suivi le chemin conseillé par des parents qui le considéraient comme le visa assuré vers un poste de cadre au ministère de l’agriculture ou de l’élevage. En cause donc : un système d’orientation opaque, peu d’accompagnement à la découverte des métiers, et des encadreurs (parents) en totale déconnexion avec le monde actuel, ce qui laisse peu de place pour une vision sociale dévalorisante du monde agricole.
2. Une formation trop théorique, déconnectée des réalités du terrain
Les curriculums de certaines écoles agricoles sont encore très éloignés des défis réels auxquels sont confrontés les agriculteurs d’aujourd’hui. Peu de stages pratiques, peu de liens avec les exploitations modernes ou les start-ups du secteur. Comment concevoir que l’élevage avec des mangeoires automatiques soit encore considéré comme exceptionnel dans ces établissements qui sont pourtant censés former les personnes qui se battront pour l’alimentation des Camerounais dans les années à venir? Résultat : un jeune diplômé sort souvent de l’école sans réelle capacité à lancer ou intégrer un projet agricole viable.
3. Un manque criant de financements adaptés
Créer une exploitation, transformer localement un produit, innover dans l’agritech… tout cela nécessite des capitaux. Mais les mécanismes de financement restent peu accessibles aux jeunes. Les banques demandent des garanties impossibles à fournir. Les subventions publiques sont rares ou mal orientées. Et les concours ou incubateurs en plus d’être insuffisants pour répondre à l’ampleur des besoins, ne fournissent souvent que de très médiocres moyens qui s’épuisent avant même que la communication autour du gagnant ne soit terminée.
4. L’absence de modèles de réussite visibles
C’est le plus gros problème. Si les jeunes veulent tous devenir influenceurs dans notre société actuelle, c’est simplement parce que les étincelles sur les réseaux sociaux leur font miroiter une vie de rêves pour ces personnes aux parcours douteux qu’ils suivent pourtant aveuglément. Dans l’imaginaire collectif, réussir professionnellement signifie encore porter costume-cravate dans un bureau climatisé. On parle trop peu de ceux qui bâtissent des empires agricoles, transforment des produits locaux, ou créent des chaînes de valeur rurales innovantes. Et quand bien même on en parle, il n’est pas rare que ce soit des récits falsifiés, embellis jusqu’à la moëlle parce que devant passer le filtre des productions. Sans récits authentiques et inspirants, les jeunes diplômés se tournent naturellement vers ce qui brille le plus.
5. Une pression sociale mal comprise
« Tu es allé à l’école pour retourner à la houe? ». Quel entrepreneur Africain du secteur agricole ne s’est pas entendu dire cela? Cette phrase, bien connue dans nos contextes, résume la pression sociale à laquelle font face tous les jeunes qui décident de “ramer à contre-courant”. Dans un monde où l’agriculture reste associée à la pauvreté, dans une société où des parents en perte de repères veulent vivre leurs rêves à travers leurs enfants, il faut une sacrée dose de courage, de conviction – et parfois d’inconscience – pour oser rester fidèle à ses compétences.
Que faire?
Dans notre approche, il ne s’agit pas seulement de dénoncer des faits qui finissent aujourd’hui par paraître évidents. Il s’agit aussi de trouver des solutions. Chez Agrifrika, nous croyons que cela peut changer. Que cela doit changer.
En structurant les chaînes de valeur agricoles, en créant des liens entre les acteurs, en accompagnant les producteurs à passer du mode “subsistance permanente” au mode “entrepreneur accompli”, nous œuvrons à revaloriser les métiers agricoles, à reconnecter les jeunes diplômés à des opportunités concrètes sur le terrain, et à créer un écosystème où les compétences techniques rencontrent des financements, des technologies et des marchés.
Il ne s’agit pas de forcer tous les diplômés à devenir agriculteurs, mais de donner à ceux qui le souhaitent les moyens de faire un choix éclairé. Et de faire comprendre à toute une génération que nous ne pourrons rien développer de percutant si nous en sommes encore au point d’avoir du mal à nous nourrir. Parce qu’une agriculture performante, c’est à la fois de l’innovation, du leadership, de l’impact et de la prospérité.
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