Depuis plus de deux décennies, l’agriculture est devenue le « secteur à fort potentiel » que beaucoup de membres de la diaspora africaine veulent conquérir. Les raisons sont compréhensibles :
- Des besoins alimentaires croissants
- Des terres encore disponibles
- La volonté de « donner en retour » au continent
Pourtant, derrière les belles promesses et les lancements en grande pompe, le constat est sans appel : la majorité de ces projets n’ont pas survécu plus de quelques années. Certains n’ont même jamais atteint le stade de la première récolte rentable.
1. Une vision romantique, mais pas une stratégie
Beaucoup de projets portés par la diaspora sont nés d’une vision idéalisée : « J’irai moderniser l’agriculture chez moi ».
Sauf que le terrain ne se gère pas depuis un bureau à Paris, Bruxelles ou Washington.
L’agriculture africaine est un écosystème complexe où les réalités locales — disponibilité de l’eau, saisonnalité, main-d’œuvre, accès au marché — imposent des ajustements permanents.
2. Le choc culturel entrepreneurial
La gestion d’entreprise en Afrique diffère profondément des pratiques occidentales :
- Flexibilité extrême face aux imprévus climatiques, logistiques ou administratifs
- Réseaux de confiance plus importants que les process écrits
- Nécessité d’une présence physique régulière pour arbitrer et décider rapidement
Les entrepreneurs de la diaspora, habitués à des environnements plus prévisibles, se heurtent souvent à cette réalité… et perdent le contrôle de leurs opérations.
3. Le piège du financement facile
Avec un accès plus simple au crédit ou à l’épargne en Occident, beaucoup investissent rapidement des sommes importantes, pensant qu’un capital conséquent compensera le manque de présence.
Résultat : équipements inadaptés, intrants gaspillés, recrutements mal encadrés. Sans suivi rapproché, l’argent devient une source d’inefficacité, pas un levier. D’autant plus lorsque les employés qui ne les voient pas comme faisant partie du même bateau puisqu’ils ont une vie en dehors de l’entreprise, estiment pouvoir se servir allègrement jusqu’au moment où le mboutoukou ouvrira les yeux. Ne parlons pas de la famille qui voit souvent en ces projets un moyen de récupérer un argent que le diasporien “njong” n’a jamais voulu lui donner.
4. La sous-estimation du facteur humain
L’une des erreurs les plus fréquentes est de mal choisir les relais locaux.
Les projets reposent souvent sur des proches non formés, ou sur des partenaires qui n’ont pas la même vision à long terme.
Dans certains cas, des malentendus ou des conflits d’intérêts provoquent un arrêt brutal des activités, pour ne pas dire une rupture complète des relations sociales.
5. L’absence de marché clair
Produire, c’est bien. Vendre, c’est mieux.
Beaucoup de projets de la diaspora se concentrent sur la production (élevage, maraîchage, transformation) sans étudier sérieusement la demande. Résultat : produits invendus, circuits de distribution inexistants, pertes financières rapides. Et quand vient le moment de constater la réalité, on est déjà à bout d’un financement de départ évalué sans connaissance des écosystèmes dans lesquels on s’engageait. Ce qui laisse naturellement place à un découragement et à une rage qui ne fait pas bon ménage dans les oreilles de ceux qui par la suite voudraient à leur tour essayer quelque chose dans leur pays natal. Il faut muscler le mental.
Comment inverser la tendance ?
- Commencer petit, tester, ajuster avant d’investir lourdement
- S’associer à des acteurs locaux expérimentés et contractualiser la relation. Je parle souvent de l’importance d’investir dans des projets, même pour s’en sortir avec des dividendes minimes. Ce qui est beaucoup mieux que de perdre totalement son investissement de départ.
- Investir du temps, pas seulement de l’argent, et ceci en escomptant des bénéfices raisonnables. Tant pis pour ceux qui rêvent de faire 100% tous les 6 mois.
- Connaître son marché cible avant de produire
- Se former aux réalités locales ou se faire accompagner par des structures crédibles
L’échec des projets agricoles portés par la diaspora n’est pas une fatalité.
Mais pour réussir, il faut accepter que l’agriculture en Afrique n’est pas qu’un investissement sentimental : c’est une discipline exigeante, qui demande autant d’ancrage local que d’expertise technique et stratégique.
Le jour où la diaspora conjugera capital, présence et intelligence du terrain, et qu’elle apprendra à détecter les acteurs professionnels avec lesquels elle peut partager son risque de manière intelligente, elle ne fera plus que rêver d’impacter le continent — elle le fera réellement.
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