L’Afrique regorge de startups présentées comme des révolutions technologiques capables de transformer le secteur agricole. Le Cameroun, à l’instar d’autres pays africains, a vu émerger de nombreuses entreprises se revendiquant du mouvement Agritech. Cependant, derrière les belles promesses et les discours savamment rédigés pour attirer des investisseurs, se cache une réalité souvent bien moins reluisante. Il nous vient donc l’envie de nous demander : « Pourquoi, malgré les couvertures médiatiques, la passion des fondateurs et l’engagement des équipes, les startups Agritech peinent-elles à s’ancrer durablement dans le paysage agricole camerounais? »
Des solutions déconnectées des réalités du terrain
L’idée d’intégrer la technologie dans l’agriculture est noble et nécessaire. Cependant, de nombreuses startups Agritech camerounaises lancent des produits ou services sans une compréhension profonde des besoins réels des agriculteurs. Sous d’autres cieux, les startups Agritech sont créées dans un écosystème fertile, pour ne pas dire favorable à l’innovation. Un environnement où tout est déjà en place. Car dans Agritech, il y a Agri (existence d’une activité agricole, d’acteurs suffisamment professionnels et prêts à collaborer, segmentation suffisante et équilibrée des maillons de la chaîne qui par ailleurs communiquent entre eux) et Tech (rapidité d’adoption des technologies, ouverture d’esprit des parties prenantes, compétences approfondies des fondateurs ou des membres de leur équipe). Revenons donc au Cameroun où beaucoup d’entrepreneurs proposent des plateformes de mise en relation, des applications mobiles ou des capteurs connectés, mais ces solutions sont souvent inadaptées aux contraintes locales : faible connectivité Internet, coût élevé des technologies, difficulté ou simplement incapacité d’adoption par des agriculteurs peu familiarisés avec le numérique.
Un marketing flamboyant pour cacher l’absence d’impact
L’un des plus grands paradoxes des Agritech camerounaises est l’écart abyssal entre la communication et la réalité. Beaucoup de startups communiquent avec des vidéos promotionnelles impressionnantes et des présentations bien huilées, mais lorsqu’on analyse l’impact réel sur le terrain, on découvre souvent une adoption quasi inexistante et un chiffre d’affaires très faible.
Les investisseurs et organismes de financement, fascinés par la promesse de la “digitalisation de l’agriculture”, injectent des fonds dans des structures qui ne survivent généralement que grâce aux subventions, sans modèle économique viable. Une fois les financements épuisés, ces startups disparaissent ou se transforment en consultants cherchant d’autres opportunités de financement. C’est assez grave dans la mesure où nous sommes un écosystème jeune et en ce sens, nous jouons non seulement pour nous mais également pour toutes les autres entreprises (ou entrepreneurs) qui viendront par la suite. S’il est vrai que les investisseurs misent d’abord sur des personnes avant un projet, laisser perdurer ce phénomène, c’est aussi laisser les acteurs du monde de l’investissement se dire éventuellement que les jeunes pousses de notre triangle national ne sont dans rien d’autre que du bluff.
Une véritable transformation est-elle possible ?
Plutôt que de vendre du rêve, il est temps pour les acteurs de l’Agritech au Cameroun de proposer des solutions pragmatiques et durables. L’intégration des technologies dans l’agriculture doit partir des besoins des producteurs locaux, et non de l’ambition de capter des financements.
Il est révolu, le temps où débarquaient comme des guerriers ces experts en IT (gros terme encore une fois) venus apporter de leur précieux savoir au pauvre petit continent Africain. L’avenir de l’Agritech camerounaise réside certes dans des solutions qui répondent réellement aux problématiques du secteur : accès aux intrants de qualité, meilleures techniques de production, optimisation des chaînes d’approvisionnement, et structuration de marchés fiables. Toutefois, elle commence par un état des besoins. Elle commence par le fait d’accepter ceci : L’Agritech ne peut prospérer que si elle repose sur une base agricole solide, avec des producteurs structurés et professionnalisés. L’Agritech ne peut prospérer que si les acteurs de la vente arrêtent de compresser les prix d’achat chez le peu de producteurs qui essaient de se professionnaliser sous prétexte qu’il y a de la concurrence. L’Agritech ne peut prospérer que si la planification devient courante autant chez les producteurs que chez les acheteurs intermédiaires qui se doivent d’identifier les besoins en fonction des périodes de l’année. Enfin, l’Agritech ne peut prospérer que si les ingénieurs IT agissent en cofondateurs d’initiatives avec les professionnels qui ont la compétence du métier d’agriculteur. Pour que les Agritech au Cameroun réussissent, les fondateurs doivent réaliser que l’informatique est un outil. Un outil qui doit être mis au service de métiers dont on a une excellente connaissance des contraintes opérationnelles. L’innovation ne doit pas être un simple argument marketing, mais un outil conçu pour améliorer concrètement les conditions de travail et de vie des agriculteurs.
Le bluff des Agritech au Cameroun est une réalité qui freine le développement réel du secteur agricole, ainsi que l’essor des startups dans le domaine. Pour que la technologie joue un rôle significatif, il est indispensable d’abandonner les stratégies purement opportunistes et de construire des solutions ancrées dans les réalités du terrain. C’est pour cette raison précise que chez Agrifrika, en plus d’avoir mobilisé des cerveaux autant dans la maîtrise de l’outil informatique que sur divers métiers de l’agriculture, nous avons commencé par faire une analyse de l’existant avec la participation d’acteurs qui sont présents sur le terrain. Si nous sommes conscients d’une chose, c’est que le chemin est long. Mais nous savons aussi que la première étape vers une transformation réelle est de reconnaître les défis structurels et d’y apporter des réponses adaptées. Nous avons le mérite de l’avoir compris bien assez tôt, ce qui nous permet de gagner du temps en évitant des stratégies inutiles pour nous et pour l’écosystème. Suivez-nous pour rester informés de nos prochaines avancées.
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